Kilos et émotions, mieux comprendre son rapport à la nourriture

Que peut dire de nous, notre rapport à la nourriture ? En quoi la relation que nous entretenons avec la nourriture et notre difficulté à perdre, prendre du poids ou le stabiliser, nous renseigne sur la relation que nous avons avec soi, les autres et le monde ?

Comment se construit notre relation à la nourriture?

La première fonction de l’alimentation est d’assurer notre survie. Mais, elle est bien plus que ça.

La nourriture pour le nourrisson

La prise alimentaire, qui est le principal mode de communication de l’enfant est le moment ou va s’exprimer ses premières émotions. Le nouveau-né mange et établit ses premières relations au monde.
L’affection, l’attention, les soins quotidiens au même titre que l’alimentation impactent notre développement affectif et notre capacité à vivre, à réguler les émotions agréables ou désagréables. Ils construisent la base de sécurité à partir de laquelle l’enfant pourra acquérir son autonomie.

On peut regarder ce qui se passe autour de la nourriture à travers « le cycle du don »
« Je reçois de la nourriture (affection, attention, amour), en retour, je donne et je rends de l’amour (tendresse, câlin)« . Le cercle est vertueux.
La façon dont ce cycle se déroule va influencer le regard que nous portons sur soi, les autres et la relation.
Si tout se passe bien, je me construis avec la pensée que « je peux exprimer mon besoin, mon émotion. Il sera accueilli, entendu, pris en compte. Je me sens en confiance et je peux exprimer mon amour. Je n’ai pas de dettes envers l’autre, nous nous apportons (nourrissons) réciproquement. »
Le repas est donc chargé affectivement et solidifie ou fragilise notre attachement. Quand il est désaffectivé (le nourrisson est juste nourri) ou dans le rapport de force, l’enfant viendra chercher de l’amour, qu’il ne recevra pas : il sera plein de nourriture mais vide d’amour. Restera un vide jamais rempli que l’adulte pourra continuer de chercher a combler par la nourriture ou une autre dépendance.

Quelle rôle et place prend la nourriture au sein de la famille?

– La nourriture peut prendre trop de place ou pas la bonne :
Pour certaines mères, donner de la nourriture est équivalent à donner l’amour. Refuser de manger signifie alors refuser son amour, la rejeter. L’enfant est alors pris dans un conflit interne, « si je ne mange pas, je blesse ma mère, si je mange, je vais à l’encontre de mon besoin. » Au final, il prend l’habitude de ne pas s’écouter et de faire plaisir en mettant de côté son ressenti.
Parfois, cela peut même conduire à des injonctions contradictoires : « sois mince mais mange ce que je t’ai préparé sinon cela veut dire que tu ne m’aimes pas. »

– La nourriture peut aussi être utilisée comme outil de récompense.
« Si tu es sage, tu auras un bonbon. »

– Une perturbation dans la gestion des émotions peut s’installer quand la nourriture devient la réponse à toutes les émotions (l’enfant pleure, il est calmé par la nourriture). Bien vivre ses émotions, nécessite un apprentissage. Le nourrisson est débordé par ses émotions, il ne possède pas d’emblée la capacité à assimiler seul ce qui se passe en lui. C’est grâce à la mère qui va lui parler, mettre des mots sur ce qu’il vit, le prendre dans les bras qu’il va peu à peu développer sa capacité à les gérer seul.

En grandissant, plus l’enfant aura été accueilli dans ses émotions, encouragé à les nommer, invité à les exprimer par une activité (musique, sport..) plus il sera en mesure de les laisser vivre tout en les apprivoisant.
Certains parents, ayant eux-mêmes du mal à gérer leurs propres émotions peuvent éviter celles de leurs enfants. Et à la réciproque, certains enfants percevant que leurs parents sont mal à l’aise avec les émotions intègrent qu’il ne faut mieux pas les exprimer. Un contrat tacite est signé, « je n’exprime pas, je suis fort, les émotions ça ne sert à rien ». La nourriture permet de « manger » les émotions, elle remplace les mots qui n’ont pas le droit d’être formulés.

La place donnée à la nourriture à l’âge adulte

La nourriture peut venir comme une réponse à toutes les émotions, agréables ou désagréables.

  • Elle peut accompagner les moments de joie, de partage. Le bien-être, le relâchement s’associent à la nourriture.
  • Elle peut aussi venir anesthésier la colère, la frustration, la peur, satisfaire un besoin de réconfort, de se récompenser.
    Par exemple, certaines personnes ressentent davantage le besoin de manger en fin de journée, après le travail. Confrontées au vide, à la solitude, à l’ennui, aux frustrations de la journée, la nourriture peut venir soulager ces douleurs mais laisse la blessure ouverte.
    Elle permet de ne pas ressentir et de ne pas se confronter à ce qui pourrait être insupportable. Non seulement il y a évitement de l’émotion mais aussi du vrai problème. Le problème devient la nourriture, le poids et on contourne la vrai origine de la souffrance.
    « Mon problème c’est mon poids, et non, mon couple, mon travail, mon anxiété. Si je maigris, tous mes problèmes seront résolus. »
    Il peut s’en suivre une vraie déception après la perte de poids car rien ne change, le problème de fond reste et le poids est repris.
  • Le poids peut aussi être une protection. Un façon de maintenir l’autre à distance ou bien de mettre une carapace
  • « la nourriture pour avoir la bouche pleine et se taire ». La nourriture peut venir comme un bâillon sur la bouche, il oblige à se taire. « mange, tais-toi, prend sur toi et avale ». Les kilos deviennent la représentation visible de tout ce qui ne peut être exprimé par la parole

Image du corps, image de soi, estime de soi.

Se sentir mal dans son corps et avec son poids altère l’estime de soi. Cependant quand il y a une faille au niveau de l’estime de soi, celle-ci est bien souvent antérieure à la prise de poids.
Les difficultés rencontrées dans le rapport à la nourriture sont d’ailleurs étroitement liées à un manque d’estime de soi.

Si je ne me donne pas de valeur :

  • Je me punis, ne respecte pas mon corps en lui donnant trop, mal, pas assez à manger ;
  • Je cherche à me confirmer dans ma croyance que je ne suis pas aimable en conservant une apparence que je considère comme dévalorisante ;
  • Je me protège avec la carapace du poids.

La difficulté à stabiliser son poids peut aussi trouver son origine dans une ambivalence à exprimer sa féminité. Il existe un conflit interne entre le désir d’être femme, d’être vue et les dangers que cela pourrait représenter :
– Etre plus vulnérable car plus désirable
– Se sentir coupable d’avoir du désir et de vouloir séduire
– Etre dans l’intimité avec l’autre
Les injonctions parentales, l’histoire personnelle amèneraient à un conflit intérieur, « je veux me sentir attirante, mais c’est mal et dangereux »
Dans le cas d’abus sexuel durant l’enfance, le corps peut exprimer le conflit dans lequel se retrouve la femme à l’âge adulte. Il est impossible pour l’enfant abusé, rendu objet de grandir en aimant son corps et sa féminité. Honteuse et coupable de se sentir attirante comme de ne pas l’être.
Certaines mères demandent à leurs filles d’être un reflet valorisant d’elles mêmes, tout en les considérant comme des rivales potentielles. Pour obéir et être aimée de leurs mères elles doivent être jolies mais pas plus qu’elles. Considérée comme rivales , en étant des femmes assumées, elles sont en proie à leurs attaques (critique, dévalorisation, rejet).

Que peut apporter une psychothérapie?

Comprendre ce qui se joue autour de la nourriture

La psychothérapie permet de traiter la souffrance profonde, parfois cachée derrière la prise de poids ou la difficulté à le perdre.
C’est en mettant des mots sur les maux qu’il ne sera plus nécessaire d’utiliser la nourriture pour se taire, se cacher ou éviter des émotions insupportables.
Pour comprendre le rôle de la nourriture dans le présent, il est nécessaire de remonter dans son histoire. Comment est-elle devenue notre meilleure amie et notre pire ennemie ? Que se jouait-il autour d’elle au sein de la famille ? Comment avons-nous appris à composer avec nos émotions ?
Derrière le rapport à la nourriture, seront mis à jour des enjeux d’attachement (difficulté à s’attacher, manque affectif, une dépendance affective, une peur de l’abandon – voir article sur l’attachement) et d’estime de soi (non amour de soi, dévalorisation, sentiment de culpabilité, auto destruction..). Ils sont tout deux fondamentaux au cours de notre développement.
En comprenant à quoi sert la nourriture, il sera possible d’identifier les freins à la perte de poids. Manger moins ou différemment peut être vécu comme une frustration ou un renoncement. La réponse à la question « qu’est-ce que j’y perds ? » n’est pas toujours celle que l’on croit.
Parfois le bénéfice caché à ne pas mincir est négatif mais ressenti inconsciemment comme la solution la moins dommageable par rapport au risque de mincir.
Par exemple, se sentir mal dans mon corps, pousse à se replier sur soi, à rester seule et ainsi se protéger du risque de l’abandon ou de rejet. On retrouvera ici, une problématique d’attachement et d’estime de soi.

Mettre de la conscience dans sa façon de s’alimenter et apprendre à gérer ses émotions autrement

Mettre le projecteur sur comment, quand, pourquoi nous mangeons ici et maintenant aidera à comprendre quelle émotion est en jeu quand nous mangeons.
Il sera alors possible d’en parler et au fur et à mesure de la gérer autrement que par la nourriture.

Être soutenu dans la perte de poids tout en ne focalisant pas sur les kilos

L’objectif premier ne sera pas la perte de poids mais la réconciliation avec soi et son corps. Cette réconciliation peut subir des aléas. L’accompagnement thérapeutique aidera à les comprendre et les vivre avec bienveillance. La perte de poids pourra alors se faire sans violence envers soi et de façon durable.


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