Se libérer de l’exigence de perfection

A certaines périodes de la vie, il arrive qu’on se sente bloqué ou insatisfait de soi. Ce sentiment peut, entre autres, trouver son origine dans la contrainte existentielle de perfection.

Celle-ci peut se manifester par une hésitation à aller vers la nouveauté, à s’exposer. Par exemple, postuler à un nouvel emploi, prendre la parole en public, faire des rencontres. La croyance limitante étant « je dois être parfait pour oser », « si je ne suis pas parfait, je vais échouer », « si je ne suis pas certain de réussir autant ne pas tenter ».

L’insatisfaction permanente de ce qu’on est et de ce qu’on a, la quête du toujours plus en est aussi un mode d’expression. La comparaison nourrit le sentiment d’insuffisance. Il arrive même, qu’une fois le pas franchi, l’objectif est banalisé ou dévalorisé dès qu’il atteint. Le bénéfice négatif sous jacent étant de se conforter dans une mauvaise image de soi.

La contrainte de perfection agit d’autant plus intensément qu’il y a refus d’une réalité, pourtant sans équivoque : quoi que nous fassions, nous sommes imparfaits et limités. Si notre valeur reste conditionnée à notre perfection, nous ne pouvons vivre que la déception de soi.

L’angoisse existentielle est inhérente à la condition humaine. Elle se décline en 5 contraintes avec lesquelles nous négocions tous du mieux possible tout au long de notre vie : la finitude, la quête de sens, la responsabilité, la solitude et la perfection.

Les accepter autant que nous le pouvons est nécessaire pour qu’elles ne deviennent pas des empêchements mais des leviers de développement.

Comment faire de la contrainte de perfection une source d’évolution et non un frein ?

Une exigence tyrannique et impossible à atteindre

L’exigence de la perfection peut s’appliquer à soi, les autres, la société

Envers soi-même, elle peut être ciblée ou globale et est toujours subjective. Elle peut concerner le physique, l’intelligence, la réussite scolaire ou professionnelle, les qualités relationnelles. « Je dois perdre 2kg », « je ne progresse pas assez vite », « je n’ai pas assez de charisme », etc.

Les conséquences psychologiques sont multiples :

  • L’insatisfaction permanente de soi, la dévalorisation, le sentiment d’imposture
  • La honte, la culpabilité
  • La colère, la tristesse, la peur
  • Le sentiment d’infériorité, la frustration

La contrainte de perfection agit comme une auto-censure, un saboteur interne :  mieux vaut ne pas essayer que de prendre le risque d’échouer et de se confronter à ses limites. 

Cela peut aller de « je ne prépare pas un gâteau parce qu’il ne sera pas parfaitement réussi » à « je m’interdis de prendre cette orientation professionnelle pour laquelle j’ai pourtant tant d’aspiration ». Elle écarte la prise de risque nécessaire à toute avancée.

Elle rend donc difficile la prise de décision et impacte nos choix, tout au long de notre vie et au quotidien.

La procrastination, l’évitement, la fuite, et au final la résignation et le renoncement, permettent d’éviter de se confronter à la réalité de notre limitation.

La contrainte de perfection fonctionne sur un mode tout ou rien, sans nuance.

La perception de soi est clivée et incomplète. Soit je suis parfait, soit je suis nul.

Ex : A la lecture de résultat d’un test psychologique, je ne retiens que les axes de progrès en mettant de côté tous mes points forts. J’en tire la conclusion que je suis défaillant.

Cela mène à une diminution de l’estime et de la confiance en soi et à de la frustration.

Comment s’ancre l’exigence de perfection ?

Les origines de l’intériorisation d’une exigence de perfection peuvent être multiples.

Pendant une courte période, le bébé connait un sentiment de toute puissance et de perfection. Il pense pouvoir tout faire, tout obtenir et la mère le comble. Au fur et à mesure de son développement, il apprend à gérer la frustration, la difficulté, l’essai/erreur c’est-à-dire ses propres limitations tout comme celle de son environnement. Si tout se passe bien, il intègre que lui et les autres sont des êtres de valeurs, imparfaits, bons et mauvais, faillibles et limités. L’amour de soi et des autres n’est pas conditionné à la perfection.

Dans un environnement insécurisant affectivement, cette assimilation ne se fait pas naturellement.

L’enfant est dépendant de son parent. Il a besoin de son amour et de sa protection. Pour tenter de les obtenir, il peut mettre en place diverses stratégies inconscientes.

La quête de la perfection

Dans des environnements familiaux hyper exigeants, viser la perfection est une tentative pour éviter la déception, la dévalorisation, parfois même l’humiliation de la part du parent.

Un parent jamais satisfait, crée la croyance que l’on ne sera jamais suffisant et qu’il en faudra toujours plus pour être une personne qui mérite l’amour. Ces parents considèrent leur enfant comme un prolongement narcissique d’eux-mêmes. L’enfant, par ce qu’il est, leur donne, ou pas, de la valeur. Cela laisse peu de place au développement du vrai soi de l’enfant et l’acceptation de ses limites.

Il est très difficile, voir impossible de remettre en question les parents. Non seulement parce qu’il serait très insécurisant de reconnaitre que son parent est défaillant, voir maltraitant, mais aussi parce que les parents sont dans un premier temps, les seuls référents. Ce qui est anormal est la norme. L’enfant en tire donc la conclusion que le problème vient de lui et de son imperfection.

La mise en place d’un « faux self »

A un degré plus important encore, la quête de perfection se transforme en construction d’un faux self. L’enfant se sur-adapte au point de perdre sa propre identité. Il se coupe de lui-même pour devenir l’idéal de l’autre. Il adapte ses émotions, ses besoins, ses comportements, sa façon de penser à son parent. Il fait en sorte de se transformer pour avoir un parent le moins dommageable pour lui.

Ainsi dans un environnement affectif insécurisant pour diverses raisons et lié à la personnalité, l’histoire, l’équilibre psychologique du parent, la tyrannie de la perfection peut se présenter comme une solution et une condition pour être aimé.

A terme, la personne sera en quête permanente de ce qu’elle est et ce qu’elle vaut à travers le regard de l’autre avec une crainte du jugement. Avec un sentiment de soi faible et un ego fragile, elle cherchera en permanence à être rassurée et sera facilement mise à mal si le retour n’est pas à la hauteur des espérances.

La société dans laquelle nous vivons nourrit l’exigence et l’illusion de perfection.

Au-delà de l’histoire personnelle, la culture de l’époque contribue aussi à nourrir l’exigence de perfection.  Elle nous livre des injonctions contradictoires : « sois toi-même » mais « pour avoir ta place, être reconnue, mieux vaux porter ce jean ou passer tes vacances ici »

Elle nous laisse croire qu’on peut “acheter” un peu plus de perfection et nous livre des modèles d’identifications. Une crème nous rendra plus jeune, une marque nous donnera une appartenance. Cela fonctionne parce que nous avons envie d’y croire, parce que cela nous laisse l’illusion que nous pouvons approcher cette perfection, cet idéal édicté par la pression du regard de l’autre.

Bien sûr chaque individu y sera plus ou moins réceptif en fonction de l’environnement affectif dans lequel il a évolué.

Accepter nos limitations et celle des autres est libérateur.

Les accepter ne signifie pas rester immobile et ne pas chercher à progresser.

Il s’agit d’avoir des ambitions pour soi, des rêves, des objectifs, et de se donner les moyens pour y arriver. L’objectif est de se libérer progressivement de la tyrannie de la perfection, en se donnant le droit à l’erreur et à l’ajustement.

Sortir d’une représentation de soi et des autres tout bon/tout mauvais est un préalable incontournable. Avoir conscience de sa valeur intrinsèque permet de faire face aux difficultés et de garder sa confiance en cas d’échec.  Avoir conscience de la valeur et des limites de l’autre permet des relations d’égal à égal. Cela écarte la peur de jugement, du rejet, et favorise l’empathie, la tolérance et la bienveillance.

Quelle aide de la thérapie pour sortir de la contrainte de perfection ?

La thérapie aide à se débarrasser des injonctions et des croyances qui agissent inconsciemment. Elle permet d’avoir une représentation plus complète de soi et de s’accepter avec ses forces et ses failles. En se connaissant mieux et se donnant la valeur inconditionnelle que l’on a, on peut avancer dans la vie sans craindre d’être effondré par l’erreur ou le jugement d’autrui.

Les injonctions, les croyances, les mécanismes d’adaptation à notre environnement se sont ancrés dans la durée. Le travail de thérapie demande d’oser regarder le passé, déconstruire des représentations qui bien que fausses et insatisfaisantes sont profondément ancrées. Les bousculer est à la fois libérateur et déstabilisant. Il est parfois plus confortable de garder de vielles lunettes qui laissent une vision floue, qu’en porter des nouvelles qui permettent de voir la réalité du passé et du présent telle qu’elle est : incertaine, complexe, changeante, à la fois bonne et mauvaise, ambivalente.


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